Seconde Guerre mondiale : comment René Mouchotte et une douzaine de Français ont pris part à la Bataille d'Angleterre
Septembre 1940. René Mouchotte et une douzaine de pilotes français intégrent progressivement la Royal Air Force, alors que la Bataille d'Angleterre fait rage. L'aboutissement d'un long périple qui leur a fait quitter la France après l'armistice pour poursuivre le combat contre l'Allemagne.
C'était il y a 80 ans, jour pour jour, le 6 septembre 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale. René Mouchotte, jeune aviateur français de 26 ans, exilé en Grande-Bretagne, écrit dans son journal personnel : "Mes heures d'Hurricane s'additionnent ; je vais très prochainement faire partie d'un "départ en escadrille". La grande aventure va commencer. Je m'exerce au combat chaque fois que j'en ai la possibilité. En même temps que l'idée de la lutte sévère que je vais avoir à soutenir s'impose de plus en plus à mon esprit, le souvenir de ma mère, de ma famille, la vision de mon pays violé et trahi me tourmente".
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Mouchotte se trouve alors à Sutton Bridge, dans une OTU (Operational Training Unit), une unité d'entraînement de la Royal Air Force. L'aviation britannique a entrepris de former des pilotes étrangers pour renforcer ses effectifs diminués par deux mois de lutte aérienne intense contre les bombardiers et chasseurs allemands. C'est la Bataille d'Angleterre dont l'objectif est de déjouer le projet de débarquement des troupes hitlériennes en conservant la maîtrise du ciel.
En cette fin d'été 1940, la Royal Air Force souffre face aux raids intensifs et répétés de la Luftwaffe sur ses bases du sud de l'Angleterre. Mais le 7 septembre, Adolf Hitler et Hermann Göring, le chef de son aviation, décident de changer de stratégie pour s'en prendre à la capitale britannique et ses habitants.
"Des bombardements méthodiques sur Londres ont commencé", note René Mouchotte le lendemain. "400 morts hier, 280 aujourd'hui. Que sera-ce demain ? Est-ce le début de la grande attaque promise par Hitler ? N'a-t-il pas annoncé l'invasion de la Grande-Bretagne pour fin août, début septembre ? (...) Notre entraînement paraît soudainement poussé. De nombreux départs ont lieu aujourd'hui. Le nôtre ne se fera pas avant la semaine prochaine malheureusement".
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Les docks de l'East End en flammes derrière Tower Bridge, à Londres, le 7 septembre 1940
Si le jeune pilote parisien s'impatiente, c'est que cela fait déjà deux mois qu'il attend d'intégrer une unité de combat, lui qui a pris tous les risques, avec une poignée de camarades, pour rejoindre la Grande-Bretagne et poursuivre la lutte contre l'Allemagne nazie.
Une échappée rocambolesque
René Mouchotte n'a encore livré aucun combat aérien pendant cette guerre. "Non par manque de capacité ; j'ai suffisamment d'heures de vol : d'autres qui en avaient quatre fois moins se bagarrent depuis septembre (1939)", se désole-t-il dans ses carnets. "Ni par esprit de "planque" ; j'ai fait trois demandes pour partir qui ont eu pour résultat de m'envoyer après cinq mois de guerre à l'Ecole Supérieure des Moniteurs".
Il a été affecté comme instructeur à Chartres puis Avord, avant d'être transféré à Oran en Algérie, en mai 1940, avec les divisions d'entraînement de l'Armée de l'Air, alors que les Allemands envahissaient la France.
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Le 17 juin 1940, il écrit sa révolte : "Je viens d'apprendre par la radio l'incroyable nouvelle de la... Ca-pi-tu-la-tion. Le fait est tellement incroyable qu'on reste là, les membres brisés, à s'imaginer mille choses, un cauchemar, une erreur, une propagande, pour tenter d'effacer l'horrible réalité".
On voudrait courir, montrer à tous qu'on a encore une force, une énergie pour continuer à combattre. La France doit rester la France, et son cœur bat toujours, malgré ceux qui veulent l'assassiner sans lui permettre de lutter.
René Mouchotte, le 17 juin 1940
"Je ne me souviens pas avoir ressenti jamais émotion aussi intense et douloureuse", fulmine-t-il. "On voudrait courir, montrer à tous qu'on a encore une force, une énergie pour continuer à combattre. La France doit rester la France, et son cœur bat toujours, malgré ceux qui veulent l'assassiner sans lui permettre de lutter".
A Oran, d'autres pilotes partagent cette colère et ce refus de la défaite : Charles Guérin, 26 ans, le meilleur ami de Mouchotte, Emile "François" Fayolle, 24 ans, petit-fils d'un célèbre général de la Première Guerre mondiale, ou encore Henry Lafont, un tout jeune sergent d'à peine 20 ans
Emile "François" Fayolle en 1941.
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Henry Lafont
Ensemble, ils décident de "partir pour l'Angleterre". Mais ce ne sera pas chose simple...
Conformément aux clauses de l'armistice signé par le maréchal Pétain le 22 juin, "le gouvernement a donné des ordres sévères pour qu'aucune unité de la flotte maritime ou aérienne ne passe à l'Angleterre", note Mouchotte.
Sur la base aérienne d'Oran-La Sénia, les vols sont donc interdits. Le commandant a commencé à faire vider les réservoirs ou à démonter les ailes des appareils.
Mouchotte, Guérin et une dizaine de camarades rebelles se réunissent en catimini pour monter leur plan : ils ont repéré sur la piste deux Caudron Goéland et un petit Caudron Simoun, tous trois en état de voler. Ces appareils pourraient leur permettre de rejoindre rapidement le territoire britannique de Gibraltar, de l'autre côté de la Méditerranée.
Carte Oran à Gibraltar
Ils décident de passer à l'action le 29 juin. "Fayolle pilotera le Simoun avec (Hubert) Stourm", expose Mouchotte. "J'emmène dans mon avion deux sous-lieutenants : un fantassin, un cavalier, déserteurs de plusieurs jours puisqu'ils se sont échappés de France dans la soute d'un charbonnier, après avoir déjoué mille poursuites et volé une voiture pour atteindre un port (il s'agit de Georges Heldt et d'André Sorret, futur membre de la 2e Division blindée du général Leclerc NDR). Guérin aura dans le sien des camarades faisant déjà partie de son escadrille et qu'il a encouragés à fuir avec lui (notamment Henry Lafont NDR)".
Mais dans l'après-midi, le Goéland convoité par Charles Guérin est déplacé dans un hangar. Le petit groupe devra donc se contenter de deux avions pour son échappée.
Certains préfèrent renoncer. Mais Mouchotte et huit de ses compagnons s'obstinent. A la nuit tombée, ils s'infiltrent discrètement sur le tarmac et se glissent dans les appareils. "Nous nous empressons de tirer les rideaux de toutes les fenêtres et de fermer la porte à clé. Chacun dans un fauteuil, nous essayons de dormir, sans résultat d'ailleurs, car nous nous sentons très énervés".
Au moindre bruit, au moindre faisceau de lumière à l'extérieur, la tension monte. L'équipage s'est muni d'armes à feu, pour se défendre en cas de grabuge... "Il faudra que nous attendions d'y voir légèrement ; une cinquantaine d'avions sont rangés sans ordre autour de nous, et il sera préférable de ne pas les accrocher."
L'avion s'embarque sur l'aile gauche... Que faire ? C'est la catastrophe. Je lutte désespérément du pied et du manche.
René Mouchotte, le 30 juin 1940.
Il est 4h45 du matin, ce 30 juin 1940, quand Mouchotte démarre les moteurs du Goéland.
"La vitesse s'accélère", décrit le pilote. "Je vois la masse de plusieurs bombardiers devant nous, un peu à gauche... Nous passons de justesse. (...) Les moteurs n'ont pas l'air de tirer. Que se passe-t-il ? (...) Je tire timidement ; l'avion se soulève mais rebondit lourdement. Pourtant, il faut y aller. Je l'aide encore une fois ; nous décollons. Le voilà qui redescend. Il s'embarque sur l'aile gauche... Que faire ? C'est la catastrophe. Je lutte désespérément du pied et du manche. Je rends la main pour le soulager. Nous frôlons le grand lac salé de la Sebkha. Il se rétablit en position horizontale, mais bien péniblement. Lafont, par-dessus mon épaule, attrape la manette du train d'atterrisage et le rentre. Cela allège un peu le Goéland. Je regarde le variomètre. Hurrah !... Nous montons".
Un Caudron-Goéland mis en service en 1938
René Mouchotte comprend alors la raison de ce décollage acrobatique. "Notre avion avait subi la visite de ces messieurs. Au lieu de retirer l'essence, ils ont simplement déréglé les hélices. Cet acte criminel a failli nous coûter la vie ; notre Goéland chargé de six personnes a décollé au grand pas alors qu'au petit pas c'était déjà tangent. C'est comme si l'on demandait à une voiture surchargée de démarrer en quatrième. Comment avons-nous réussi ? Miracle !".
"Si nous nous en sommes tirés, c'est bien parce qu'on a été aidés par quelqu'un de l'au-delà", dira plus tard Henry Lafont.
Video a ecouter
Henry Lafont raconte son échappée d'Oran avec Mouchotte et Guérin
Date de dernière mise à jour : Mar 14 déc 2021